Découvrez l’artiste Tamino!
Il y a des voix qui frôlent le mystique, d’autres qui transpercent le silence. Celle de Tamino fait les deux. Trois albums, une poignée d’années, et déjà une empreinte singulière dans le paysage musical contemporain. Le jeune Belge d’origine égyptienne ne joue pas dans la catégorie des phénomènes éphémères, il s’inscrit dans la durée, à l’endroit où la musique devient un langage plus qu’un produit. Une langue intime, radicale, qui ne cède ni à la tendance ni au bavardage. Portrait !
Une ascendance, un passé, un mystère
Né à Mortsel en 1996, Tamino-Amir Moharam Fouad porte dans son nom l’héritage d’une double culture, celle d’une mère belge anthropologue passionnée de musique classique, et d’un père égyptien, musicien et organisateur d’événements. Il est aussi le petit-fils de Moharram Fouad, légende de la chanson arabe. Une lignée musicale, donc. Mais c’est seul, sans le poids du nom, que Tamino trace sa voie.
Elevé par sa mère dans un environnement flamand, il découvre très tôt les grands noms de la chanson française et anglo-saxonne, notamment Brel, Gainsbourg, Piaf, Leonard Cohen, Nick Cave, Dylan. Mais aussi Oum Kalthoum, Hamza El Din, Rabih Abou-Khalil. Un creuset d’influences que son oreille absolue et sa tessiture de quatre octaves absorbent sans filtre. Il se forme au Conservatoire d’Amsterdam avant de s’en affranchir, déjà trop épris de liberté pour se contenter d’un cadre. Il parle néerlandais, écrit en anglais, chante parfois en quart de ton. Une construction hybride, à son image.
De « Habibi » à « Every Dawn’s a Mountain » : la lente éclosion
Son premier single, « Habibi », le fait connaître en 2016. Un titre hypnotique, à la frontière du chant arabe et de la folk, une chanson qui fera de lui une étoile montante en occident. L’EP qui suit confirme que Tamino n’est pas une curiosité. Il a une langue musicale à lui, un idiome où la mélancolie n’est jamais pesante, où le silence est une clé de lecture. Ses clips, réalisés par son frère Ramy, construisent déjà une identité visuelle cohérente et soigneusement éloignée du formatage.
En 2018, son premier album « Amir » impose sa signature. On y retrouve Colin Greenwood de Radiohead, et une voix qui rappelle Jeff Buckley. Trois ans plus tard, « Sahar » prolonge le sillon, entre oud, guitare acoustique et cordes diaphanes. Il y invite Angèle le temps d’un duo (« Sunflower ») et continue d’arpenter les scènes du monde entier, de la Belgique à l’Amérique du Nord.
En 2025, « Every Dawn’s a Mountain » marque un tournant. Ce troisième album, plus dépouillé, plus acoustique, délaisse les arrangements pour mettre à nu la voix et l’écriture. Le disque est conçu comme un récit, avec prologue (« Babylon »), étapes (« Dissolve », « Raven »), et épilogue (« Amsterdam »). Un voyage traversé par le deuil, mais aussi l’envie de vivre autrement.
New York comme point d’équilibre
Dans ses interviews, Tamino confie que tout ce en quoi il croyait s’est effondré. New York a été son refuge, son départ, sa secousse. Il y trouve l’anonymat, la frénésie et la solitude, un trio qui nourrit sa création. Chaque aube y devient une montagne, chaque titre une tentative d’escalade. Installé à Manhattan dans un appartement modeste, Tamino marche, observe, noircit des carnets, et hante les scènes ouvertes. Il aime cette ville car « elle ne se soucie pas de vous ». Il aime s’y sentir inconnu, invisible, débarrassé de tout ce que la Belgique projetait sur lui. Il s’y perd pour mieux se retrouver. « La vie, ce n’est pas se chercher, c’est se créer », cite-t-il de Bob Dylan.
Une écriture qui ne ment pas
Tamino ne prémédite rien, il écrit comme on respire mal : en cherchant l’oxygène. « Les chansons me révèlent des choses sur moi que j’ignore », dit-il. C’est dans ce jaillissement non-maîtrisé que se trouve sa force. « Babylon », « Raven », « Dissolve »… chaque titre de son nouvel album est une métaphore vivante, un poème à demi voilé. Raven, inspiré par Poe, transforme le corbeau de deuil en compagnon de route.
Le disque est un chemin de deuil et de renaissance, un carnet de métamorphose intime. Pas de slogans, pas d’effets de manche. Juste une voix nue, une guitare, et parfois un oud pour dire ce que les mots trahissent. Il compose seul, mais se laisse parfois surprendre, comme avec Mitski, invitée sur une chanson, ou avec Alessandro Bucciolati, co-auteur d’un des titres.
La musique comme espace spirituel
Sans dogme ni posture, Tamino revendique une quête de transcendance. La musique, pour lui, est ce territoire où l’on se relie à plus grand que soi. Une forme de liturgie moderne, de psalmodie laïque. « My Heroine », l’un des sommets de l’album, en est l’illustration : un chant lent, profond, qui dépasse le cadre du romantisme. Il évoque volontiers la spiritualité comme une nécessité dans une société désacralisée. Il se méfie des réseaux, fuit l’exposition, préfère que l’on parle de ses chansons plutôt que de sa vie. Une forme de pudeur artistique rare à l’ère de la surexposition. Il veut que ses chansons déclenchent chez l’autre quelque chose de personnel, sans référence obligatoire à son parcours propre.
Une modernité sans compromis
Tamino ne revendique rien, mais incarne beaucoup. La métisse, la mélancolie, l’écoute, la lenteur, la spiritualité. Il chante en anglais, joue du oud, cite Joni Mitchell, Lana Del Rey, Philip Larkin et Edgar Allan Poe. Il partage des scènes avec Mitski, assure des premières parties pour Angèle, collabore avec de nombreux artistes. Un pied en Orient, l’autre dans la folk nord-américaine, et la tête dans une chambre new-yorkaise sans rideaux. Il ne cherche pas à plaire, il cherche à dire, et parfois, ça suffit à bouleverser. Même sur scène, où le silence du public, suspendu à sa voix, vaut toutes les ovations. Il dit ne pas ressentir le trac. La scène est pour lui un lieu de vérité, alors que les interactions sociales l’angoissent.
L’album de la maturité ?
Avec « Every Dawn’s a Mountain », Tamino signe son album le plus harmonieux, le plus direct, le plus habitable. Un disque où la voix n’est plus un ornement, mais un fil d’Ariane. On y entend le deuil, oui, mais aussi la résilience, l’acceptation, et cette forme d’espoir lucide qui donne son titre au disque. « Chaque aube est une montagne », dit Tamino. Une montagne à gravir, ou à contempler. Dans tous les cas, un horizon à atteindre.
Et Tamino, dans cette lente ascension, n’a pas fini de nous surprendre !